Enseignement de Jigmé Rinpoché au décès de Lama Teunsang à
Karma Migyur Ling le 10 octobre 2023
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« On m’a demandé aujourd’hui de prendre la parole et d’expliquer la manière de se relier, par la continuité de la pratique, à son Lama racine.
L’accomplissement historique de Lama Teunsang
Avant cela, je souhaite exprimer quelques mots. Aujourd’hui est en effet un jour très triste pour Montchardon, mais aussi pour tous les pratiquants et les monastères Karma-Kagyu. Au cours de sa présence dans cette vie humaine, Lama Teunsang a en effet vraiment accompli un grand nombre de choses importantes. Peut-être que vous ne le savez pas, mais il a accompli plusieurs choses qui sont d’une importance significative.
Par exemple, en 1975, le XVIème Karmapa nous a expliqué à quel point le Dharma du Bouddha était éminemment important pour les êtres humains qui habitent en un lieu où il n’existait pas auparavant. Moi-même, je n’ai pas tout à fait compris au début, car j’ai grandi dans un environnement où le Dharma était présent. Je ne comprenais donc pas ce qu’il voulait dire. Et puis, c’est progressivement, en étant là, au contact des gens, en relation avec eux, que j’ai réalisé combien le Dharma était important, combien de bienfaits il pouvait apporter, combien sa pratique pouvait générer de bienfaits. Nous pouvions alors très vite voir combien il était important qu’il y ait une compréhension du fonctionnement du karma, combien il était important que les êtres humains prennent soin les uns des autres, combien il était important de pouvoir progresser, se développer soi-même, combien le fait de prendre soin de sa prochaine destination était quelque chose d’important pour les êtres.
Nous avons tous ici l’expérience de ce qui s’est passé lorsque nous ne connaissions pas le Dharma. Quand nous ne connaissons pas le Dharma, le fait de tuer un moustique, par exemple, est quelque chose de facile. Lorsqu’il s’agit de tromper quelqu’un pour avoir un résultat plus facilement, on va le faire également. Quand il n’y a pas de connaissance du Dharma, le fait de nuire à un animal, à un être humain, est quelque chose de normal, finalement. Et puis, on peut voir individuellement, avec la connaissance que nous apporte le Dharma, que, s’agissant du moustique, on va peut-être juste essayer de le repousser, de s’en débarrasser, mais sans le tuer. Et puis, en fonction des situations que nous rencontrons, nous allons voir qu’il serait peut-être plus facile de tromper ou de manipuler quelqu’un, mais la connaissance du Dharma nous permet de nous rendre compte que ce n’est pas une chose à faire.
Nous voyons donc qu’il y a de petites choses, tout à fait insignifiantes, qui, grâce au Dharma, permettent à l’esprit humain d’emprunter une direction plus bénéfique. Nous savons à quel point la pratique du Dharma – et nous en avons à présent l’expérience – est quelque chose d’important, et à quel point le fait de s’y dédier permet de changer les situations. Comme, par exemple, connaître le karma, la loi des causes et des effets, le processus karmique, ou encore comprendre l’apparition en dépendance, tout ceci, j’ai pu comprendre, au fur et à mesure du temps, à quel point le fait d’amener ces notions dans un pays où le Dharma n’existe pas est quelque chose de capital, de vraiment important. Et j’ai pu voir, progressivement, pas à pas, combien cela était vrai, utile et aidant, parce que cela aide à réduire les actes néfastes, des actes en apparence tout à fait insignifiants. Et cela est capital.
Lorsque nous disons que le Dharma a pénétré en Europe, aux États-Unis, ou en Amérique latine, cela a permis qu’un changement s’opère. Lorsque les gens commencent à apprendre le Dharma, il y a vraiment un changement qui est évident. Il y a davantage de tolérance, une meilleure conduite, les gens sont plus compréhensifs les uns envers les autres, et tout ceci est d’importance pour l’ensemble des êtres humains.
Lama Teunsang a suivi, lui aussi, les instructions du XVIème Karmapa. Il a eu, très certainement, les mêmes instructions que nous. Et il les a suivis pendant près d’un demi-siècle. Un demi-siècle, c’est quelque chose de tout à fait historique, si on y réfléchit. Il ne s’agit pas simplement de quelques années. Il s’agit d’un demi-siècle, au cours duquel il s’est engagé, jour après jour, à suivre ces instructions. C’est quelque chose d’historiquement important pour la France, en réalité. Bien sûr, je parle de la France car nous sommes ici mais cela concerne aussi l’Europe : sa contribution est immense pour la France et pour l’Europe, même si on ne peut pas vraiment le voir de la sorte à présent. En effet, année après année, par son engagement, il a fait en sorte que de nombreuses personnes comprennent le Dharma, et qu’elles en comprennent la valeur.
Ici, je ne parle même pas de personnes forcément bouddhistes : on peut tout à fait être bouddhiste ou non bouddhiste pour comprendre cela. Mais il a dédié près d’un demi-siècle de sa vie à cela.
Et cette tâche, il l’a accomplie sans aucun défaut. C’est-à-dire que nous pouvons voir des personnes qui apportent une grande contribution pour une cause ou pour une autre, mais il y a toujours un moment où des défauts apparaissent dans leur façon d’apporter les choses. Il peut s’agir, par exemple, d’un défaut personnel qui se révèle et vient entacher cela. Ici, on peut voir que c’est sans aucun défaut que Lama Teunsang a passé sa vie à transmettre l’enseignement du Dharma. Certes, on pourrait dire qu’il avait un sacré caractère, mais cela n’est pas un défaut : c’est au contraire une qualité. En réalité, son activité n’est entachée d’aucun scandale, d’aucune erreur, il était l’exemple parfait d’une personne qui a pu apporter le Dharma en ce lieu. Cela est quelque chose d’extrêmement rare.
Beaucoup de personnes accomplissent de bonnes choses, mais on peut voir qu’à un moment ou à un autre, des critiques sont émises à leur encontre. Ou bien, tout simplement, certains trouveront toujours à redire. Ici, pendant près d’un demi-siècle, Lama Teunsang a été parfait, sans aucun défaut. Parfait dans sa façon de guider les personnes, parfait dans sa façon d’enseigner. Ses enseignements étaient des enseignements appropriés, sans exagération, sans manipulation : ce qu’il a donné, c’était simplement la vérité. Voici l’une des choses les plus importantes.
Certains parmi vous étaient peut-être là et peuvent en témoigner : au tout début, il n’y avait rien ici, rien du tout. C’était simplement de la forêt, partout. Je me souviens qu’au début, quand je venais rendre visite à Lama Teunsang, il n’y avait pas non plus de douche, même pas d’eau pour laver la vaisselle. Donc on passait juste un chiffon sur la cuillère et le bol, et on les rangeait ainsi. Et cela n’a pas simplement duré quelques semaines, mais bien plus longtemps. Il n’y avait aucun confort, rien.
Bien sûr, aujourd’hui, quand on arrive ici, il y a quelque chose de confortable, mais il a fallu tout le dur labeur de Lama Teunsang pour que ceci soit possible.
Au début, il y avait là cette grange, bâtie de façon un peu traditionnelle : la moitié de la grange était destinée aux animaux, l’autre moitié aux humains. C’était un peu la même chose, d’ailleurs. Puis, des gens sont venus peu à peu, et Lama Teunsang a donné des enseignements du Dharma. Il a pris soin des gens un par un, il a pris le soin de leur expliquer l’enseignement, de leur détailler les choses. Ensuite, progressivement, cette forêt est devenue un lieu de pratique, où l’on peut venir effectuer des retraites, des nyoung-nés. Et cela est une chose qui va demeurer pendant des siècles.
C’est ce que je veux dire quand je parle de quelque chose d’historique.
On ne le voit pas maintenant, mais en réalité, ce qui a été mis en œuvre, ici, du point de vue du Dharma, est quelque chose qui est là, et qui est passé de 0 à 100%. Il n’y avait pas de Dharma, rien n’était présent physiquement. Et aujourd’hui, il y a toutes ces possibilités. Ainsi, il n’est pas simplement question d’enseignement, mais de toutes les possibilités que Lama Teunsang a pu créer et ancrer en ce lieu. Cela est quelque chose de tout à fait historique.
Lama Teunsang, incarnation même des six paramitas
On peut voir que Lama Teunsang était l’incarnation des six paramitas dont il est question dans l’enseignement des bodhisattvas.
Si l’on examine la première d’entre elles, la paramita de la générosité, on constate qu’il a passé son temps à enseigner, qu’il a dédié son corps à sa tâche, lui faisant supporter de nombreuses épreuves. En effet, ici par exemple, il a pris une par une les pierres qui constituent aujourd’hui le sol bien plat. Initialement, ce n’était pas ainsi. Il n’avait pas de tracteur, il n’avait rien, c’est à la main qu’il les a retirées et placées, etc. Ceci est une forme de générosité incroyable, la plus importante des générosités.
Ensuite il y a l’aspect de la conduite : Lama Teunsang n’a jamais trompé ni manipulé personne.
Il y a également la paramita de la patience : sans patience, il est bien certain qu’il n’aurait pas pu accomplir tout ce qu’il a accompli, il n’aurait pas pu aller aussi loin.
Au sujet de la paramita de la méditation – ou absorption méditative – Lama Teunsang était un des pratiquants les plus éminents qui existaient en Europe.
On peut donc voir que toutes ces paramitas – djinpa (générosité), tsultrim (éthique), zeupa (patience), samten (concentration méditative)… – il les vivait lui-même. Il était l’exemple vivant de ces six paramitas. Parfois, lorsque l’on rencontre des difficultés dans notre vie, c’est assez facile de se laisser emporter, nous avons alors cette référence que nous pouvons rappeler à notre esprit : la référence de notre Lama, qui a pu faire naître un résultat en traversant tout cela. Il s’agit d’une source d’inspiration pour emprunter une direction similaire. Il s’agit de suivre cet exemple au mieux de nos capacités.
Les bienfaits de son activité pour la France, la lignée Karma-Kagyu et les étudiants
Si on essayait de faire la biographie de Lama Teunsang, on pourrait dire les choses de façon simple, ainsi : « C’était un Lama qui est venu du Tibet, en France, et qui a passé près d’un demi-siècle à faire le bien pour la France et sa population, pour la lignée Kagyü, et pour ses étudiants ». Examinons ces trois choses.
Lorsque je parle de la France et de la population française, bien sûr, les Français, de manière large, ne comprennent pas la portée historique de son œuvre – en tout cas pas pour l’instant. La population bouddhiste en France n’est en effet pas très importante. Mais plus tard, ils comprendront. Le Karmapa lui-même avait dit : « Plus tard, ils le sauront ». Il n’a pas simplement accompli le bien pour des personnes qui étaient bouddhistes. Le bien accompli est beaucoup plus large, beaucoup plus vaste. Il a amené en ce lieu, en ce pays, une condition pour le bienfait des êtres. Cela était la première chose.
Ensuite, s’agissant de la lignée Karma-Kagyu, il a transmis tous les enseignements Karma-Kagyu, en commençant par la façon de méditer. Puis, il a transmis l’explication de sadhanas simples, et il est allé jusqu’à l’explication de sadhanas et de pratiques beaucoup plus complexes, en finissant par l’établissement des retraites de trois ans. Tout ceci est relié à l’enseignement Karma-Kagyu. Par le biais de cette transmission, il a relié des pratiquants à l’activité du Karmapa, il a amené les pratiquants à être en contact avec le Karmapa. On a pratiqué, et on pratique encore le Gourou Yoga des quatre sessions (appelé aussi le Gourou Yoga du 8° Karmapa) : cela relie tout le monde à cette activité du Karmapa.
Vient ensuite le troisième point : les étudiants. De façon individuelle, vous avez reçu les instructions de Lama Teunsang, vous avez reçu sa bénédiction, vous avez reçu les méthodes de pratique. Individuellement, il vous appartient à présent d’en faire quelque chose. C’est-à-dire qu’il a mis en vous cette graine, et maintenant, cela dépend de vous, de ce que vous souhaitez en faire et de la façon dont vous souhaitez la développer.
Quand je dis que ces trois aspects sont quelque chose de vraiment important, je parle donc de cet acte historique d’avoir contribué à amener le bouddhisme en France, d’une part, d’avoir ensuite relié l’activité du Karmapa et la lignée Karma-Kagyu à des personnes vivant en France et en Europe, et enfin, d’avoir pris soin de chacun, un par un. Et ceci, comme je le disais au début, sans qu’il y ait la moindre contradiction, sans qu’il y ait la moindre erreur, le moindre défaut. Tout s’est développé de façon très douce, très progressive, et tout à fait appropriée.
Donc il a commencé ici, et tout s’est développé de manière excellente comme je le disais, et ce, jusqu’à la fin de sa vie. Il a fini sa vie ici. Et, toute sa vie, il l’a consacrée à quelque chose de bénéfique, à quelque chose d’utile, à quelque chose d’accompli. En fait, c’est toute sa vie qu’il a menée ainsi. De plus, il a vécu longtemps. Quand des êtres qui vivent longtemps consacrent leur vie entière à être utiles aux autres, c’est quelque chose d’exceptionnel qui se produit. C’est pour cette raison que je dis que du début jusqu’à la fin de sa vie, tout a été simplement et uniquement bénéfique. C’est en tout cas ce que je pense et que je sens.
Comment continuer lorsque son Lama n’est plus là pour nous guider, nous accompagner ?
Maintenant, je souhaite aborder un autre aspect. Je voudrais m’adresser aux pratiquants, à ceux qui l’ont suivi, ceux qui étaient ses étudiants.
Vous avez reçu des enseignements, vous avez reçu également des conseils de Lama Teunsang, ainsi que des méthodes de pratique. Les enseignements qu’il a transmis sont ceux qui sont associés au Dharma. Les conseils qu’il vous a transmis portent sur ce qu’il y a à faire, sur ce qu’il s’agit de faire et de ne pas faire. Et les méthodes sont celles de la pratique. Ainsi, vous avez reçu toutes ces qualités de Lama Teunsang. Donc il y a l’aspect de la pratique, mais il y a aussi le fait de se concentrer sur ce qui se passe au cours de nos occupations quotidiennes.
Je ne sais pas quelles sont les pratiques que vous avez reçues et que vous effectuez individuellement, je sais que chacun a sa pratique. Peut-être que certains pratiquent Tchenrézi, d’autres Tara, ou bien les Pratiques Préliminaires… Chacun, individuellement, a sa pratique et en suit les méthodes.
Maintenant, comment continuer lorsque son Lama part ? C’est peut-être le point principal de notre échange aujourd’hui.
La confiance, la dévotion et les six paramitas : le lien avec le lama
Tout d’abord, ce qu’il nous faut, c’est une forte confiance – dépa (la foi) en tibétain.
Ensuite, sur cette base-là, il faut comprendre les qualités du Lama, être convaincu par ses qualités – c’est ce que l’on appelle Meugu (dévotion) en tibétain. Ceci est la conviction dans les qualités, qui nous amène à aspirer à aller dans cette même direction. Ces deux qualités nous gardent en lien avec le Lama.
Pendant près de cinquante ans, ou peut-être quarante-huit ans, peu importe, on peut voir comment considérer, comment développer cet aspect de Meugu, nous pouvons voir que sa façon de vivre était parfaite. Elle était aussi parfaite en lien avec la pratique du Dharma. Et cela, c’est ce que l’on recherche, en fait. Donc son exemple permet de nous donner une vision, une direction. Il s’agit donc d’être convaincu de cela, et sur la base de cette conviction, d’avoir ce souhait d’emprunter une même direction. Si nous envisageons les choses ainsi, cela ne va pas nous empêcher de rencontrer des difficultés, mais nous essaierons simplement de les clarifier l’une après l’autre. Qu’il s’agisse de difficultés émotionnelles, ou d’autres difficultés, peu importe, il s’agit simplement de ne pas rester bloqué par ces problèmes et d’essayer de les dépasser l’un après l’autre.
Et c’est là qu’interviennent les six paramitas dont je parlais : la générosité, la conduite, la patience, l’effort enthousiaste, la diligence… Il s’agit de voir que s’il manque ces qualités, il n’est pas possible de continuer. Mais si l’on essaie de faire un petit effort, de se relier à ces qualités, à ces paramitas, nous allons pouvoir dépasser les difficultés les unes après les autres : Lama Teunsang était un exemple de cela. Et ce que nous pouvons faire, c’est d’essayer, le plus possible, de suivre l’exemple de notre Lama.
C’est la raison pour laquelle, au début de mon allocution, je vous expliquais ce que Lama Teunsang a fait, et à quel point cela était important. En effet, nous pouvons voir à quel point sa façon de vivre a été importante pour la lignée et aussi pour tant de personnes.
Quand on peut ainsi se référer à l’importance de ce qu’il a fait, de ce qu’il était, et, de plus, bien garder à l’esprit qu’il l’a fait sans défaut, presque à la perfection – je veux dire par là que tout a été fait de manière appropriée – il a traversé tellement d’épreuves au cours de toutes ces années, que le fait de considérer cela nous permet de voir l’importance de la personne qu’il était. Si, en plus de cela, nous étudions un peu le Dharma, alors nous allons comprendre que sa façon de vivre était exactement en accord avec le Dharma. Et c’est de là que meugu peut se développer. Puis, au travers de ce meugu émerge la possibilité de recevoir la bénédiction – Djinlap.
Grâce à Djinlap, la bénédiction, nous avons la possibilité de révéler ce potentiel individuel qui est le nôtre. Autrement dit, par l’application de la pratique, grâce à la bénédiction, nous avons la possibilité d’actualiser, de révéler ce potentiel.
On peut effectuer des pratiques de yidam, ou peut-être d’autres pratiques, peu importe. C’est comme une forme de technique spécifique : par le simple fait de Dépa (la confiance), de Meugu (cette aspiration empreinte de respect), de Djinlap (la bénédiction), nous offrent la possibilité d’actualiser notre pratique.
Il y a une phrase en tibétain qui dit qu’à ce moment-là il y a : « Lama rangsem yermé », c’est à dire que « l’esprit éveillé du Lama est indifférencié de mon propre esprit ». Ceci va nous permettre de demeurer dans la bénédiction, dans l’esprit du Lama. La sagesse ou l’esprit du Lama et notre propre esprit sont alors tout à fait indissociables. Mais ceci ne peut s’actualiser sur la base d’une technique : c’est quelque chose qui va se déployer ou se produire de façon naturelle c’est à dire que naturellement, les qualités du Lama vont imprégner mon esprit. Mon esprit va demeurer dans cette qualité, et la pratique va permettre de l’actualiser ou de le révéler.
Révéler la pratique : comment l’initier et la maintenir ?
Quand je parle de révéler la pratique, la question qu’on peut se demander c’est comment faire cela ?
Ceci commence au cœur même de notre esprit – au niveau de l’état de notre esprit. Il s’agit de le faire, et de continuer de le faire et c’est ainsi que la compassion va s’élever de manière sincère. Il y aura davantage de dévotion pour le Bouddha, le Dharma et le Sangha. Cette dévotion n’est pas quelque chose d’imaginaire : elle est réalité. Grâce à cela, nous reconnaissons nos défauts. Nos défauts se dévoilent, nous pouvons les voir, les reconnaître. Et alors, simplement, nous ne les suivons plus. Et si nous ne suivons plus ces défauts, comme ils sont des états de l’esprit, ils ont aussi une qualité qui peut se révéler. Ceci, il s’agit de le faire sur une base quotidienne. C’est ainsi que cette bénédiction se reçoit. La bénédiction est justement cela : c’est le fait qu’un changement puisse s’opérer sur l’état de notre esprit, pour qu’il emprunte une direction plus bénéfique. Alors, nous devenons plus bénéfiques, une direction plus bénéfique est prise, il y a moins d’obscurcissements par les actions néfastes.
Quand je parle de ce qui est néfaste, je fais référence aux tendances habituelles, à nos façons habituelles d’envisager les choses, à nos perceptions habituelles, mais aussi à tout le mouvement émotionnel (colère, jalousie, orgueil). Je fais référence à tout ce que l’on appelle le voile des obscurcissements – nyeunmongpé dripa (le voile des kleshas/des émotions perturbatrices) – mais également au voile du connaissable/cognitif – shédjé dripa – qui nous fait envisager les choses d’une certaine manière. Nous ne sommes donc pas pris par ces différents voiles, et nous demeurons simplement en l’esprit. C’est ce qui nous permet d’aller vers quelque chose de plus réaliste.
Comment maintenir cela de manière individuelle ?
Il y a plusieurs choses importantes. Tout d’abord, la continuité de sa pratique est une chose importante. Peu importe la pratique que l’on effectue, qu’il s’agisse d’une pratique simple ou un peu plus élaborée. Il est essentiel de garder une continuité de pratique parce que c’est cela qui va nous permettre de révéler les qualités issues de la pratique. Ceci va s’effectuer de manière progressive. C’est-à-dire qu’il ne faut pas s’attendre à un changement du jour au lendemain, ni à quelque chose d’immédiat. Cela ne fonctionne pas de manière fantaisiste ou magique.
D’ailleurs, lors de sa tournée, cet été, Karmapa a donné et répété à plusieurs reprises le conseil suivant : il ne convient pas de laisser la pratique du Vajrayana prendre une tournure superstitieuse. Il l’a répété à plusieurs reprises et le sens de cela, c’est qu’il ne s’agit pas d’essayer de prendre un peu, ici ou là des choses, pour aller vers une forme d’idée fantaisiste de la pratique. Bien sûr, la pratique du vajrayana apportera forcément un résultat relatif si nous l’appliquons de la sorte. Mais ce n’est pas dans cette direction que le Karmapa nous invite à aller. Au contraire, il nous propose de faire ce qu’on dit en tibétain « Tcheu lam tou dro » (« [la pratique du] Dharma va sur la voie [du Dharma] » (le 2è des Quatre Dharmas de Gampopa)), c’est-à-dire que notre pratique emprunte le chemin du Dharma, ou bien qu’elle prenne la direction appropriée du Dharma.
Suivre et soutenir l’activité de Karmapa
Une autre chose importante est celle de l’activité de Karmapa. Lama Teunsang n’a fait que cela : suivre l’activité du Karmapa.
En créant un lieu comme celui-ci, c’est ce qu’il a fait : il a soutenu l’activité du Karmapa. Il a permis que des personnes puissent venir et recevoir l’enseignement du Dharma.
C’est donc ce que nous avons aussi tous fait, notamment à la mort du XVIème Karmapa. Nous avons gardé à l’esprit l’idée de soutenir son activité, l’activité du Lama. C’est en effet cela qui apporte un bienfait pour les autres.
Soutenir son activité, c’est faire en sorte que la méditation soit expliquée et accomplie ici, que des enseignements soient donnés, que des stages soient proposés : cela permet d’inviter les personnes qui le souhaitent à se joindre à cela. Nous fournissons ainsi les facilités tels que le lieu, les hébergements et les moyens pour que les personnes puissent se joindre à cela. C’est ainsi que l’on participe, que l’on soutient l’activité du Karmapa. Et cela est même mentionné dans différents rituels et dans différentes pratiques en fait.
Il y a le danger de mal comprendre cette notion de soutien à l’activité du Karmapa ou l’activité du Lama. Il ne s’agit pas de comprendre que le Karmapa ou le Lama aurait besoin d’être célèbre ou mis en avant. Cela n’a rien voir.
Ici, le fait de soutenir leur activité est relié à leur bodhicitta parce qu’étant des bodhisattvas, leur souhait le plus profond est celui d’aider tous les êtres sensibles.
Il s’agit donc de voir comment nous pouvons mettre notre propre potentiel individuel au service du souhait de ces bodhisattvas. Il est notamment question de pouvoir fournir des lieux pouvant accueillir de nouveaux arrivants qui souhaitent découvrir l’enseignement, d’être des points de contact avec l’enseignement du Bouddha.
Voici ce qu’est ce lieu, et ce que signifie « soutenir l’activité de Karmapa ».
Cela est bon pour les gens. Cela permet d’être un point d’accès pour se relier au Dharma. C’est donc ce qui a été créé ici même, avec les pratiques qui sont effectuées, la possibilité pour les gens de recevoir des enseignements… Cela peut être présenté, introduit à des nouveaux arrivants, qui ont ainsi un point d’accès au Dharma. Voilà donc que signifie « soutenir l’activité du Karmapa ».
L’obstacle du sentiment d’appartenance
Karmapa a mentionné un autre sujet qui est également important, est le fait de ne pas être bloqué par une forme de sentiment d’appartenance. Cela est quelque chose d’important parce que, si nous sommes bloqués par ce sentiment d’appartenance, notre activité ne peut pas être équanime.
De manière générale, les êtres sont bons, ils ont quelque chose de bon en eux, cependant, ils sont influencés et pris par les émotions : c’est ce qui est l’origine et la source de toute la mésentente, de toute la disharmonie. C’est aussi ce qui fait que notre vision des choses va être, soit favorable soit défavorable. En d’autres termes, nous commençons à différencier les choses. C’est ce qui fait que tout ce qui est bénéfique se dilue peu à peu.
Alors, comment faire ?
C’est bien là la question et la difficulté. Il n’y a pas de remède immédiat. Certes, il peut y avoir des remèdes, mais ils ne fonctionnent pas véritablement. Il s’agit plutôt de garder à l’esprit ce qui vient d’être dit, et de regarder les situations que nous rencontrons.
Regardons peut-être une situation dans laquelle nous avons raison, ou au contraire, une situation dans laquelle nous avons tort. Et, dans cette situation-là, essayons de nous remémorer les paroles du Karmapa et de les faire rencontrer avec la situation qui est la nôtre, avec l’expérience du moment. C’est ainsi que nous allons comprendre. A un niveau individuel, je vais mieux comprendre et mieux voir comment certaines choses sont influencées par mon attachement, ma jalousie et mon orgueil. Je ne dis pas que tout est néfaste, ni que tout est mauvais. Ce n’est pas cela. Je propose simplement de voir comment, à cause de ce qui est présent dans l’esprit, ce dernier emprunte une direction néfaste. Il s’agit d’essayer d’y réfléchir, de regarder cela, d’essayer de voir ce qui est en jeu dans les situations. Je ne dis pas que nous allons pouvoir tout voir tout le temps. Mais au moins, un petit pourcentage va pouvoir être vu de ce qui se passe à l’intérieur. Nous verrons alors : « Tiens, je perçois les choses de cette manière parce qu’il y a une forme de projection de ma part aussi sur la situation ». Et prenant conscience, en étant lucide quant à cela, un changement peut s’opérer au niveau de notre perception des choses. Cela sera véritablement utile et aidant.
C’est exactement ce que l’on souhaite quand on effectue la prière qui dit : « Tcheu lam tou drowa djin gyi lap tou seul » (« Bénissez-moi pour que ma pratique du Dharma aille sur la Voie ») : « Nous requérons la bénédiction de notre Lama afin que notre chemin de pratique ne rencontre pas d’obstacles et puisse progresser de manière apaisée ».
Pourquoi notre chemin n’est-il pas fluide et facile ?
Cela est lié au fait qu’il y a beaucoup de contradictions dans l’esprit. Ce sentiment d’appartenance est une de ces contradictions. Il s’agit donc de ne pas être pris par cette idée, de ne pas être sous l’influence de ce sentiment d’appartenance.
Un autre terme, une autre phrase est utilisée et je les explique toujours avec ce contexte d’être dans la relation avec le Lama. Cette autre phrase dit : « Trulwa rang sar chiwar djin gyi lob » (« Que l’illusion se pacifie en elle-même » (que l’on trouve dans la prière du Guru Yoga des Préliminaires) : « Je requiers la bénédiction afin que l’illusion – toutes ces contradictions dont je parlais, qui sont simplement notre propre illusion, notre propre confusion – se dissipe d’elle-même ».
Par exemple, je me trouve ici assis, et j’ai peut-être une cause pour être en colère mais Audrey, qui est assise à côté de moi, n’a pas cette même cause de colère. Mon esprit à moi est perturbé, mais pas le sien, parce que simplement c’est ma propre illusion. Et donc, lorsqu’on parle de l’illusion, c’est le fait que les émotions, que le mouvement émotionnel crée en fait l’illusion, la confusion. Nous requérons donc la bénédiction afin que notre pratique ne connaisse pas d’obstacles, et ceci de manière naturelle c’est à dire que cette illusion se dissipe naturellement, et ceci, sans utiliser d’antidote ni de remède. Nous souhaitons simplement que notre esprit se clarifie, se pacifie.
Comment se relier au Lama ?
Il s’agit de pratiquer et de demeurer avec cette dimension de confiance et de dévotion dont nous parlions, et, en outre, d’essayer de rester inséparable du Lama, que notre esprit soit indissociable du sien.
Et puis, de se rappeler ces phrases que nous venons d’évoquer, en commençant par la première : « Lo tcheu sou drowa djin gyi lab tou seul » (« Bénissez-moi pour que mon esprit aille vers le Dharma » (le 1er des Quatre Dharmas de Gampopa)), de lui adresser la requête, la prière que notre esprit suive le Dharma.
Parce qu’en fait, il y a de nombreuses méthodes qui peuvent nous être proposées dans la vie, et nous pouvons être convaincus par une méthode, ou par l’autre – ce n’est pas si mal, il n’y a pas de problème avec cela – sauf que la méthode du Dharma reste quand même une bonne méthode. La requête que nous adressons est que notre esprit suive ce chemin du Dharma.
Ensuite, nous demandons que le chemin que nous empruntons soit vraiment celui du Dharma : c’est-à-dire que tout soit facile, quoi que l’on fasse. Que tout coule de manière naturelle et facile. Nous essayons ainsi de garder ce lien avec ces phrases de référence, et ceci avec notre dévotion, comme nous l’avons vu auparavant.
Quelle est la cause de la dévotion ? Comment la faire naître ?
Pour cela, nous pouvons simplement regarder la vie de Lama Teunsang en l’occurrence, et voir à quel point elle était parfaite, sous tous ses aspects. Ceci est ce qui va nous permettre de développer cette dévotion.
En effet, on peut parfois avoir un enseignant un peu chaotique qui créé des difficultés, des problèmes. Cela perturbe alors notre dévotion qu’on peut avoir : il est difficile de générer de la dévotion à l’égard d’un tel enseignant. Lama Teunsang, lui, est demeuré dans ce type de perfection pendant longtemps, très longtemps. Cela est quelque chose de rare et de tout à fait spécial. Si nous sommes en capacité de nous relier à ceci via notre pratique, c’est ce que je vous invite à faire parce que c’est ce qu’il s’agit de développer.
Conclusion
Je crois que j’ai à peu près tout dit. Je l’ai dit de façon résumée, mais aussi un peu dense. Donc vous pouvez réfléchir un peu plus à l’importance de ces différents points. L’important étant que tous les pratiquants puissent se rassembler et pratiquer ensemble parce que cette continuité de la pratique est vraiment le point essentiel, le point crucial.
Ici, nous cherchons tous à nous affranchir du mal-être, à nous libérer de la souffrance – c’est le but pour lequel nous sommes ici. Pour cela, nous avons besoin de nous aider les uns les autres, de partager le Dharma, d’être ensemble pour cela, et de prendre cette direction de la libération. Cela est facilité par le fait d’être ensemble et de pratiquer. Il y a ici par exemple la possibilité de faire des Nyoung-nés, toutes les conditions ont été mises en place pour cela. Des efforts ont été fournis. Il est donc possible d’y consacrer du temps, à son tour, de fournir des efforts, et c’est quelque chose de vraiment important pour progresser dans cette direction de la libération.
En réalité, Lama Teunsang est parti une fois que tout fut terminé et prêt. Tout était prêt, tout était terminé, et Lama Teunsang est parti. Cela aussi est important : il est parti maintenant que tout est là, que tout le monde puisse venir sans difficulté, puisse suivre les enseignements, etc. Utiliser cette opportunité est vraiment essentiel.
Merci à tous pour votre écoute, merci d’être venus. Maintenant, je vais faire ce souhait, pendant la dédicace, que tout puisse continuer dans la direction que Lama a impulsée.


