Maniwa Shérab Gyaltsen Rinpoché (1950-2025)
Maniwa Shérab Gyaltsen Rinpoché, maître bouddhiste tibétain très respecté et aimé de la tradition Karma Kagyu, est décédé le 3 septembre 2025 à Kathmandu des suites de complications cardiaques. Il était âgé de 75 ans.
Enfance et vocation spirituelle
Shérab Gyaltsen naquit en 1950 à Manang, village himalayen isolé du haut désert népalais près de l’Annapurna, à la frontière avec le Tibet. À l’âge de 4 ans, il trouva un livre par terre et l’apporta à ses parents. Ne sachant pas lire, sa mère le montra à un moine du monastère de Samye au Tibet, qui lui conseilla de consulter un haut lama.
Bien que malade, le père de Shérab Gyaltsen mit son fils sur son dos, enveloppa le livre dans une kata et alla voir le précédent Shangpa Rinpoché, un lama hautement vénéré à l’époque, avec deux requêtes : une divination sur sa maladie et une explication concernant le livre mystérieux. Comme Shérab Gyaltsen le raconta plus tard :
[Shangpa Rinpoché] n’a pas dit ce qu’était ce livre. Il a simplement dit que je devrais commencer à pratiquer le dharma à l’âge de 8 ans. Si je ne commençais pas, je n’aurais pas une longue vie. À mon père, il a dit : « Même si vous recevez l’initiation de longue vie de cent lamas, vous mourrez. »
De retour chez lui, le père rapporta les instructions de Rinpoché concernant le garçon, mais ne dit rien de la prophétie de sa propre mort. Cette même année, alors que Shérab Gyaltsen n’avait que 4 ans, son père mourut.
Formation spirituelle
À 8 ans, suivant les instructions de Shangpa Rinpoché, Shérab Gyaltsen commença à étudier le dharma. Il apprit à lire et à écrire, et à 12 ans, accomplit les Ngeundro, les pratiques préliminaires traditionnelles de la tradition Kagyu. De 13 à 15 ans, selon la coutume de l’époque, il fut invité dans les maisons pour lire d’importants textes bouddhistes tibétains et offrir des pujas.
À 15 ans, Shérab Gyaltsen se rendit au monastère de Rumtek au Sikkim, où il prit refuge auprès du seizième Karmapa, Rangjung Rigpe Dorje, et devint moine. À cette époque, il n’y avait pas de shedra (université monastique) au monastère. « L’enseignement principal consistait donc à apprendre tous les tantras », déclara-t-il. Pendant les trois années suivantes, il étudia intensivement tous les textes et rituels du bouddhisme tibétain, passant beaucoup de temps avec le Karmapa. Il se souvint : « J’avais une très forte dévotion et une grande confiance en lui, car je pouvais voir ses qualités. C’était un enseignant très spécial. Sa capacité à connaître les choses était sans obstacle. »
Plus tard, à la fin des années 70, Shérab Gyaltsen accomplit sa première retraite de trois ans sous la direction de Bokar Rinpoché au centre de retraite de Rumtek.
Engagement pour le dharma et les communautés monastiques
L’engagement de Shérab Gyaltsen Rinpoché envers le dharma et ses étudiants fut profond et étendu. Son premier centre au Népal était un lieu de retraite pour les nonnes où il enseigna pendant trois ans. Lorsque le centre s’avéra trop difficile d’accès en hiver et pendant la saison des pluies, il construisit et supervisa un monastère à l’ouest de Kathmandu pour une centaine de nonnes.
Tout au long de son œuvre, Shérab Gyaltsen Rinpoché resta un fervent défenseur des femmes dans le bouddhisme tibétain, devenant le premier lama Karma Kagyu à soutenir la formation des nonnes en tant que khenpos, le plus haut degré d’érudition bouddhiste.
Il occupa la fonction de maître de retraite (droupeun) pour les retraites traditionnelles de trois ans, d’abord à Pharping, fondé par Shamar Rinpoché, puis dans d’autres centres de retraite au Népal et en France.
À Bhaktipur, à l’est de Kathmandu, Lama Shérab Gyaltsen Rinpoché fonda et supervisa le monastère Dhagpo Sheydrub Ling (Nala Gompa). Inauguré en 2015 par le dix-septième Karmapa, Trinley Thaye Dorje, le bâtiment fut construit dans le style traditionnel bouddhiste tibétain.
À la suite du tremblement de terre de 2015 qui dévasta le Népal, il reconstruisit le Nyeshang Gompa, cet immense temple à Swayambhunath, situé à l’ouest de Kathmandu. Rinpoché y dirigeait plusieurs fois par an des sessions de Nyoung Né en présence de centaines, voire de milliers de pratiquants, ainsi que des pratiques d’accumulation de 100 millions de mantras de Tchenrézi et d’autres mantras.
Shérab Gyaltsen Rinpoché était l’un des rares enseignants bouddhistes à détenir le titre de Maniwa, un titre honorifique décerné aux maîtres de la pratique de Tchenrézi qui ont accompli au moins un milliard de répétitions du mantra Om Mani Peme Hung, ou qui ont inspiré d’autres personnes à le réciter collectivement autant de fois. Au cours des vingt-cinq dernières années, plus de 20 milliards de mantras de Tchenrézi furent accumulés sous sa direction.
Réputé comme maître des stupas, Shérab Gyaltsen était très sollicité pour consacrer des stupas à travers le Népal, l’Europe et l’Amérique du Nord.
Shérab Gyaltsen Rinpoché voyagea dans le monde entier pour donner des enseignements et des initiations. En tant que guide de retraite, il guida toutes les pratiques. Il était réputé pour son style d’enseignement à la fois profond et direct, mais très accessible. Ses explications étaient claires et faciles à comprendre, tout en restant profondes. Ses enseignements étaient souvent enrichis de conseils pratiques, d’histoires captivantes et d’un humour chaleureux, laissant une impression durable à tous ceux qui y assistaient.
Dès qu’il en avait le temps, il se mettait en retraite pour des périodes plus ou moins longues.
Engagement humanitaire
Son activité compatissante s’étendit à la prise en charge des orphelins et des enfants issus de familles pauvres, une cause à laquelle il consacra une grande partie de sa vie en construisant un orphelinat à Kathmandu et en les accueillant dans le monastère de Nala.
Un maître incarnant la compassion
Il vivait le Dharma. Il le respirait, le pratiquait, l’enseignait et le transmettait. Il inspirait l’amour, la dévotion et le dévouement à tous : aux autres lamas, aux moines et nonnes de ses monastères, aux pratiquants des centres de retraite qu’il dirigeait ou soutenait, ainsi qu’à ses communautés de disciples laïcs au Népal, en Europe et ailleurs. Ses qualités tenaient autant à sa maîtrise de l’enseignement qu’à sa bonté inébranlable. Il rayonnait la bodhicitta. Il plaçait toujours aux autres en premier. Il donnait tout ce qu’il avait à ceux qui l’entouraient. Il était bienveillant, généreux, humble et authentique.
Dans un hommage publié sur Facebook, Jamgon Kongtrul Rinpoché exprima la profonde tristesse partagée par les fidèles de Shérab Gyaltsen Rinpoché à travers le monde : « Il n’était pas seulement un enseignant, il était l’incarnation même de la compassion éveillée, un maître éclairé dont chaque souffle était consacré à la libération des êtres. »
Après le décès de Rinpoché, Thayé Dorjé, le XVII° Karmapa a écrit une longue déclaration que vous pouvez consulter directement sur le site karmapa.org. Vous trouverez la traduction française en suivant ce lien